Mme Geneviève des Rivières, ambassadrice du Canada en Algérie : «Les entreprises canadiennes en Algérie demandent de ne pas être ciblées à cause d'un seul joueur»

  • Création : 25 juin 2013

L'actualité des relations entre le Canada et l'Algérie a été plutôt tendue ces dernières semaines avec l'affaire de la mise de SNC Lavalin sur liste noire. Les opportunités de partenariats profitables n'ont pourtant jamais été aussi importantes entre Alger et Ottawa. A quelques conditions près explique Mme des Rivières, l'ambassadrice du Canada à Alger.

Après la chute du PIB de 2009 de 2,77 %, l'économie canadienne s'est remise sur le chemin de la croissance plus vite et plus solidement que les autres pays de l'OCDE. Des observateurs l'attribuent à la bonne santé des finances publiques d'avant la crise comparativement aux États-Unis, d'autres à l'expansion du secteur énergétique. Comment l'expliquez-vous ? 

Effectivement, le Canada a su tirer son épingle du jeu et a moins souffert que d'autres pays de l'OCDE de la crise économique mondiale. Il doit cette réussite, entre autres, à une politique budgétaire responsable, à une saine politique monétaire ainsi qu'à la solidité et la prudence de son système bancaire. De plus, les bénéfices engendrés par l'industrie des énergies et mines ont soutenu les investissements des entreprises. La planification budgétaire du gouvernement canadien jouit d'une bonne crédibilité ce qui rassure les marchés et les banques qui n'ont pas eu recours aux opérations de renflouement aux frais des contribuables. En 2009, le gouvernement a mis en place des mesures, dont le plan d'action économique du Canada, pour stimuler son économie et protéger les emplois. Dès le début 2011, le Canada avait regagné son niveau de productivité et récupéré tous les emplois perdus durant la récession. Le Canada continue de favoriser l'innovation pour stimuler la croissance de la productivité et soutenir une économie fondée sur le savoir afin de rester compétitif dans un contexte mondial de plus en plus difficile. Le gouvernement canadien et plusieurs provinces continuent d'offrir des crédits d'impôt importants aux investisseurs afin d'assurer la création d'emplois. 

Le Canada a depuis longtemps un très grand déficit commercial avec l'Algérie. Comment souhaiter rééquilibrer votre commerce bilatéral avec Alger ? 

En effet, en 2012 nos exportations canadiennes vers l'Algérie se chiffraient à 419,70 millions et nos importations à presque 6 milliards de dollars. Le Canada voudrait voir ses exportations vers l'Algérie augmenter et être plus diversifiées. Mais il faut pour cela sensibiliser nos entreprises canadiennes aux opportunités du marché en Algérie. Pour diversifier nos exportations jusqu'à maintenant en grande partie agricoles, nous travaillons à élargir le nombre d'entreprises canadiennes de fabrication industrielle présentes en Algérie. Tout cela est relié au propre développement industriel de l'Algérie. Plus l'activité industrielle privée algérienne sera étendue, plus l'exportation canadienne sera diversifiée. Les entreprises privées algériennes existantes que j'ai jusqu'à maintenant visitées sont intéressées par la technologie canadienne. Une plus grande ouverture à l'investissement privé étranger amènera aussi plus de partenariats. 

Parce que vous considérez que l'investissement n'est pas assez ouvert ? 

C'est qu'il pourrait être plus ouvert. Nous respectons les lois algériennes, mais nous savons que, et je ne parle pas de la règle 51/49, l'Algérie pourrait avoir plus d'investissements, même avec les conditions actuelles. Néanmoins, elle pourrait avoir encore plus d'investissements si la réglementation était moins lourde, si les processus administratifs à tous les niveaux étaient allégés, s'il y a plus de mesures incitatives à l'investissement. Le Canada, tout comme l'Algérie, est un pays de ressources naturelles mais il a réussi à attirer beaucoup d'investissements étrangers de type industriel parce qu' 'il a mis sur pied des mesures incitatives pour les compagnies étrangères…. 

des mesures que l'on ne retrouve pas forcément dans la législation algérienne ? 

Je ne pense pas. Si le Canada a une économie diversifiée c'est principalement en raison des mesures incitatives très attrayantes offertes surtout aux entreprises innovatrices. Ceci est normalement offert par les provinces. De telles mesures sont destinées aux investissements durables; c'est-à-dire par exemple à toutes les compagnies qui investissent dans la R&D (Recherche et développement). Ceci peut être fait même dans un pays dont l'économie est émergente. Dans le cas des compagnies pharmaceutiques, à titre d'exemple, si elles s'installent au Canada avec des opérations de R&D, elles le quitteront difficilement parce qu'elles ont trop investi dans la formation des chercheurs et des scientifiques. C'est relativement facile de fermer une boite de médicaments génériques par exemple mais plus difficile de fermer une compagnie qui a beaucoup investi dans la R&D. 

Y a-t-il un intérêt pour les compagnies canadiennes pour venir investir dans la biotechnologie, comme les Américains disent vouloir le faire en Algérie ? 

Ce domaine nous intéresse. Et des choses se font dans ce sens. A titre d'exemple nous avons présentement une mission au Canada, menée par un scientifique algéro-canadien ; il est revenu ici et se trouve en visite exploratoire au Québec avec une délégation algérienne importante afind'étudier les opportunités de partenariat avec l'industrie pharmaceutique. Les industries aéronautiques et automobiles sont aussi des secteurs où le potentiel de partenariat industriel existe. L'Algérie est en train de développer son industrie automobile, elle aura besoin d'une industrie locale de sous-traitance et de fabrication de pièces. Il s'agit d'un secteur où les entreprises canadiennes ont beaucoup d'expérience. L'électronique et l'électroménager aussi sont aussi des domaines porteurs. J'ai visité des usines de fabrication d'électroménager à Sétif et à Bordj Bou Arreridj. Cette industrie est très florissante en Algérie et pourrait être reproduite dans beaucoup d'autres secteurs. 

Pensez-vous que le profil actuel de l'Algérie pourrait faire émerger cette industrie ? 

L'Algérie dispose d'un secteur public très important, c'est un peu difficile de voir une cohabitation facile et rapide avec un secteur privé florissant. Mais certains pays de l'Europe de l'Est à l'image de la Pologne et de la République Tchèque l'ont fait. Certes, cette transformation ne se fait pas du jour au lendemain, mais l'Algérie pourrait aussi le faire. Les emplois de nos jours ne sont plus créés par les États, c'est le secteur privé qui apporte l'innovation, qui prend des risques. Les gouvernements ne peuvent prendre de risques car c'est l'argent des citoyens qu'ils utilisent. 

La diaspora peut-elle participer au retour d'expérience au pays du Maghreb ? 

C'est un travail en construction. Le gros de l'immigration algérienne au Canada s'est fait dans les 15 à 20 dernières années. Cette diaspora se compose de professionnels dans la quarantaine. Plusieurs reviennent en Algérie pour être à la tête d'entreprises canadiennes. Il y a aussi des algéro-canadiens qui ont choisi de revenir pour des raisons familiales. Pour participer au retour d'expériences, il faut que plus d'opportunités existent en Algérie. 

Est-ce que les investisseurs canadiens voudront aller dans un pays qui a mis sur la liste noire (blacklisté) une entreprise aussi importante que SNC-Lavalin ? Est-ce que cela ne va pas détricoter le travail fait pour l'installation des entreprises canadiennes en Algérie ? 

Je rappelle pour autant qu'il ne s'agit que d'allégations. SNC-Lavalin n'est inculpée d'aucune charge. Aussi j'ajouterai que SNC-Lavalin coopère pleinement avec les autorités judiciaires algériennes. SNC Lavalin est résolue à faire en sorte que toute personne qui s'avérerait impliquée dans des actes illicites soit traduite en justice et réponde de ses actes. Les entreprises canadiennes continuent pour leur part à mettre en application des principes de RSE (responsabilité sociale et corporative). 

Elles n'en tiennent vraiment pas du tout compte ? 

Les entreprises canadiennes souhaitent que les mesures actuelles prises par certaines sociétés publiques à l'égard de SNC-Lavalin, n'affectent pas leur propre développement en Algérie. Elles demandent que des principes d'équité soient appliqués dans l'octroi des contrats et ne pas être injustement ciblées parce qu'elles sont canadiennes. Pour sa part, le gouvernement canadien vient d'apporter une série de mesures pour intensifier la lutte contre la corruption transnationale. La loi a été adoptée par le Sénat pour rendre les entreprises canadiennes opérant à l'étranger plus responsables de leurs actes. Les compagnies qui peuvent être sujettes à des actions de corruption d'agents publics étrangers seront exposées à de sévères sanctions. Notre aspiration est d'être un leader au sein du G20 dans le domaine de la lutte contre la corruption transnationale. Il s'agit de donner l'exemple pour que les autres pays suivent. 

Donc, vous ne redoutez pas que cette affaire alourdisse le climat algéro-canadien ? 

Je pense qu'il y a d'autres facteurs plus importants que cela. Les entreprises qui travaillent d'une manière transparente vont continuer à créer des emplois et à transférer leur savoir-faire en Algérie. Elles ont beaucoup investi en Algérie et elles croient au développement économique de l'Algérie. Cela est vrai aussi pour SNC-Lavalin. Il faut se rappeler qu'entre son bureau à Alger et les différents sites de projets, SNC-Lavalin a créé dans les dix dernières années plus de 10.000 emplois pour des ingénieurs, architectes, géologues, informaticiens et techniciens hautement qualifiés, et qui sont pour la grande majorité algériens. Plusieurs se souviendront que SNC-Lavalin a su répondre aux situations d'urgence dans des moments cruciaux où l'Algérie avait besoin d'accroitre ses capacités en eau et en électricité dans des délais exceptionnellement courts. L'entreprise a aussi été l'un parmi peu d'acteurs internationaux à accompagner l'Algérie durant les années noires. Elle a mis en œuvre depuis mars 2012 des normes très rigoureuses en matière d'éthique, de conformité et gouvernance. 

Le Canada a connu une seconde ère pétro-gazière avec le développement des hydrocarbures non conventionnels notamment en Alberta. Son expertise peut-elle aider l'Algérie dans le domaine des gaz et pétrole non-conventionnels et comment ? 

Il existe déjà un accord entre la société canadienne Talisman et Sonatrach, signé il y a environ 8 mois, relatif à la réalisation d'études de faisabilité pour les gaz de schiste en Algérie. Le fruit de cette étude permettra de déterminer les réserves exploitables de l'Algérie dans certains endroits du pays. Le gouvernement algérien a raison de commencer par une évaluation. Il pourra décider le moment venu de ce qu'il fera de ses réserves. Au Canada, la production de gaz de schiste a commencé dans certaines régions. La province du Québec pour sa part a décidé d'un moratoire sur l'exploitation des gaz non conventionnels. 

L'Algérie est en butte, avec le Maghreb, à un grand retard d'intégration régionale avec le chantier de l'UMA toujours en panne. Quel bilan tirez-vous de l'accord de 1992 de libre-échange nord-américain (ALENA) ? Le Canada en a-t-il tiré profit autant que ses partenaires du Sud ? 

L'ALENA est un succès en ce qui concerne les relations trilatérales et bilatérales en Amérique du Nord et les statistiques le démontrent bien. L'accord a permis de maximiser les capacités de l'Amérique du Nord et à rendre nos économies plus innovantes et compétitives. En 1993, les échanges trilatéraux dans la région nord-américaine étaient de 288 milliards de dollars américains, mais en 2011, pour la première fois, le commerce total des marchandises au niveau trilatéral a dépassé 1 billion de dollars américains - soit une augmentation de plus de 3,5 fois. C'est près de 2 milliards de dollars américains par jour dans la zone de libre-échange. Depuis 1994, l'ALENA a généré une croissance économique et a contribué à améliorer le niveau de vie de la population des trois pays membres. En renforçant les règles et procédures régissant le commerce et l'investissement à travers le continent, l'ALENA s'est avéré être une base solide pour la prospérité future du Canada. On peut affirmer sans équivoque que l'ALENA a eu un effet extrêmement positif sur l'économie canadienne. L'accord a ouvert de nouvelles possibilités d'exportation, a agi comme un stimulant pour bâtir des entreprises compétitives au niveau international, et contribué à attirer d'importants investissements étrangers. 

Des exportations de produits maghrébins vers le Canada en hausse malgré la crise 

La crise économique qui affecte les pays maghrébins n'a pas affecté les exportations de produits maghrébins vers le Canada. Ici, un état des lieux pour l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. 

L'ALGERIE, PREMIER FOURNISSEUR MONDIAL DE PETROLE BRUT AU CANADA 

En 2012, le commerce bilatéral Canada-Algérie se chiffrait à 6,4 milliards de dollars canadiens. Les exportations canadiennes ont atteint 419,70 millions contre 5,98 milliards de dollars canadiens d'importations. Le Canada a depuis longtemps un très grand déficit commercial par rapport à l'Algérie. En 2012, les principales importations canadiennes de l'Algérie étaient du pétrole (99,9 %), du sucre (0,07 %), et des fruits comestibles (dates) (0,02 %). Les importations de pétrole qui se chiffraient à 6 milliards de dollars font de l'Algérie le premier partenaire commercial bilatéral du Canada en Afrique et au Moyen-Orient. Plus globalement, l'Algérie est aussi le 12e partenaire commercial bilatéral du Canada ; juste derrière le Brésil. Les importations de pétrole algérien ont augmenté de 9,3 % en 2012. Depuis 2007, l'Algérie est le premier fournisseur mondial de pétrole brut au Canada. 

MAROC – CANADA : UN COMMERCE BILATERAL EN HAUSSE DE 24,8% 

Le commerce bilatéral entre le Maroc et le Canada se chiffre à 522,6 millions de dollars canadiens, en hausse de 24,8 % par rapport à 2011. Les exportations canadiennes vers le Maroc ont atteint 368,5 millions et contre 154,2 millions de dollars canadiens d'importations. Le Maroc est le 61e partenaire commercial bilatéral du Canada. En 2012, les principales importations canadiennes en provenance du Maroc étaient des fruits comestibles (surtout des agrumes, 42,3 %), du sel et du soufre (principalement du feldspath et phosphate de calcium, 16,4 %), des vêtements tissés (11,1 %), et des engrais (9,7 %). Les importations ont augmenté dans l'ensemble de 29,4 % en 2012 par rapport à 2011. Plus spécifiquement, les importations de sel et de soufre (feldspath, phosphates de calcium, baryum, etc.) ont augmenté de 1833,8 % en 2012. Par rapport à 2010, les importations canadiennes en provenance du Maroc ont augmenté de 13 millions de dollars canadiens. 

ET DE 21,35% AVEC LA TUNISIE 

En 2012, le commerce bilatéral Canada-Tunisie se chiffrait à 188 millions de dollars canadiens, en hausse de 21,35 % par rapport à 2011. Le Canada a exporté 136, 9 millions en Tunisie contre 51,1 millions de dollars canadiens d'importation. La Tunisie est le 90e partenaire commercial bilatéral du Canada. En 2012, les principales importations canadiennes en provenance de la Tunisie étaient des vêtements tissés (31,72 %), des huiles animales ou végétales (13,16 %), des vêtements tricotés (9,46 %), et des chaussures (7,80 %). Les importations ont diminué globalement de 3,59 % en 2012 par rapport à 2011. Plus spécifiquement, les importations d'huiles animales ou végétales ont baissé de 22,42 % en 2012. Toutefois, par rapport à 2010, les importations canadiennes en provenance de la Tunisie ont augmenté de 400 000 dollars canadiens. Ces tendances sont attribuables avec la crise actuelle que subit la Tunisie.  

Plus d'infos : http://www.lequotidien-oran.com

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