L'Europe du vin marche sur la tête

  • Création : 4 février 2010

Au cœur de la réforme, la nouvelle segmentation des vins est en contravention avec l’OIV. « Les Etats-Unis n’acceptent pas la mention du millésime sur les vins européens sans indications géographiques. », rapportait, le 25 janvier dernier, le site de la viticulture VITISPHERE : « Les autorités américaines, qui avaient d’abord tiqué sur la mention du cépage pour ces vins, n’acceptent pas la mention du millésime, car elle n’est pas conforme à leur réglementation. » Mais elle n’est pas davantage conforme à la réglementation de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV).

Dans sa précipitation à adopter, en guise de réforme de l’OCM-Vin, le système simpliste des pays du Nouveau Monde – sous prétexte de se mettre à armes égales avec eux – la Commission européenne n’a pas étudié les règlements fondamentaux de l’OIV, et, comble de l’ironie, elle se voit maintenant contestée par les USA, ex-membre de l’OIV, alors qu’elle invoque l’OIV comme référence dans sa réforme… et revendique de supplanter les Etats membres dans ses instances.

Entérinée en 2008, appliquée en 2009, la très controversée réforme de l’OCM-Vin imposée d’une main de fer par la Danoise Fischer Boel révèle déjà toute son absurdité sur le point fondamental de la définition des catégories de vins et de leur étiquetage, qu’elle a alignés sur les usages des concurrents de l’hémisphère sud, soi-disant par souci d’offrir une approche simplifiée et une meilleure lisibilité au consommateur.

Entorse flagrante à la norme internationale
Faisant fi des règlements fondamentaux consignés dans le « Code de l’Etiquetage » de l’OIV, les eurocrates ont ainsi autorisé la mention du cépage et du millésime sur les vins de table redéfinis en « vins sans indications géographiques ». Ce faisant, ils ont mis la nouvelle réglementation européenne en contravention avec la « Norme Internationale pour l’Etiquetage des Vins » dudit Code de l’OIV :
- L’article 3.1.4, traitant du « Nom de la variété » stipule en effet :
« Il ne peut être indiqué que si […] le vin bénéficie d’une appellation d’origine reconnue ou d’une indication géographique reconnue. »
- L’article 3.1.5, traitant du « Millésime ou année de récolte » stipule :
« Cette mention est réservée aux vins bénéficiant d’une appellation d’origine reconnue ou d’une indication géographique reconnue. »

Pour l’OIV, la raison profonde en est que la condition essentielle de l’attribution de ces mentions valorisantes réside dans la traçabilité, condition qui n’est pas réunie par les vins de masse que sont les vins de table. Outre qu’il est un gage d’authenticité, le rapport cépage/origine permet d’identifier les meilleures conditions d’exploitation des terroirs. Et cette exigence était aussi inscrite dans le droit américain.

La confusion à tous les niveaux
Après avoir ainsi galvaudé les mentions valorisantes jusqu’ici réservées aux vins de qualité que sont les appellations d’origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP), la Commission prépare maintenant, dans le cadre de sa réforme de la politique de qualité des produits agricoles, une simplification des signes officiels de qualité. Parmi les propositions retenues, elle envisage la fusion des deux catégories AOP et IGP pour ne retenir que le concept d’indication géographique (IG). Ce faisant, elle nie de nouveau les différences profondes qui existent entre ces deux systèmes et qui reposent non seulement sur l’origine, mais encore sur les conditions de production et les rendements.

A qui profite le crime ?
A force de simplifications, de refontes, de regroupements et de fusion sans discernement, la Commission a ouvert des brèches où vont s’engouffrer les marques commerciales et qui vont saper le système d’appellations européen. Le brouillage pernicieux de la hiérarchisation au niveau de l’étiquette va immanquablement mettre en concurrence frontale les vins de bas de gamme et les vins d’appellations au détriment de ces derniers : c’est la production basique « canada dry », déjà en perte de vitesse auprès du consommateur, qui va être relancée, puisqu’elle va pouvoir se parer de plumes de paon, et qui va perturber l’offre qualitative sans avoir à en remplir le cahier des charges.

Au-delà de cette uniformisation et standardisation, se pose le problème de l’usurpation de cépages exclusivement liés à certaines zones géographiques et correspondant à des AOC (les cépages autochtones alsaciens et savoyards par exemple en France, mais beaucoup d’autres en Europe) qui pourront impunément être arborés par des vins de table.

Conjonction calamiteuse avec la libéralisation des plantations
Conjuguée avec la suppression du régime des droits de plantation dès 2015, cette mesure sonne le glas de la conception européenne de la viticulture et l’avènement de la viticulture industrielle, avec toutes ses conséquences socio-économiques, environnementales, paysagères et culturelles. Car la future liberté totale de planter favorisera évidemment, à moyen et long terme, la création de grandes superficies, en plaine, mécanisables à outrance, avec un minimum de main d’œuvre et produisant non pas des AOC, mais des vins sans IG avec marque commerciale, cépage et millésime. Ce ne sont pas ces grandes superficies qui manquent en Europe.

Un chassé-croisé à contretemps
Le plus affligeant est que la Commissaire Fischer Boel ait engagé la viticulture européenne dans cette voie précisément au moment où, après avoir constaté les limites de leur propre système dérégulé (les pertes subies par de nombreuses entreprises australiennes sont très importantes et ont conduit récemment à des arrachages massifs), les pays tiers sont en passe de se convertir au « terroir » et à ses mentions d’origine. Comme si les vignobles du Nouveau Monde, en accédant à plus de maturité, découvraient toute l’importance de l’introduction des paramètres naturels et humains. C’est en effet la seule conception qui s’inscrive dans la durée, parce que c’est la véritable « lecture » du milieu naturel par les hommes.

Le nouveau Commissaire roumain, Dacian Ciolos, a décidément du « vin » sur la planche !

Jean-Paul Angers et Dominique Janin Secrétaires Généraux de l’AREV

L’AREV : Assemblée des Régions Européennes Viticoles – www.arev.org

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