Semences de pommes de terre, une concurrence déloyale ?
- Création : 16 novembre 2006
La production moyenne de semences certifiées au Maroc est de l'ordre de 2.300 tonnes par an, pour un marché dont les besoins sont évalués à 140.000 tonnes. La production locale couvre à peine 2% des besoins, contre 26% pour les importations. «La production nationale a été un véritable échec», affirme Ahmed Ouayach, président de la jeune Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (Comader). L'Etat aurait pourtant tenté d'être performant dans cette filière. La Sonacos, entité étatique, n'aurait pas réussi à satisfaire un marché pourtant à fort potentiel.
La production nationale marocaine a progressivement laissé la place aux importations. «Les producteurs locaux de pommes de terre préfèrent ce qui est acheté à l'étranger, ajoute Ahmed Ouayach, au détriment d'une production locale dont les coûts ne permettent pas d'être aussi compétitifs que les produits importés». Les producteurs nationaux seraient-ils incapables d'affronter la concurrence?
Au sein de la profession, les avis sont nuancés. Plutôt que de parler d'incapacité, certains préfèrent évoquer un cas de dumping. Ou plus exactement de prix à l'import «imbattables». «Le Maroc dispose de capacités suffisantes pour couvrir l'ensemble des besoins», affirme Abdellah Radouani, directeur des Domaines El Boura.
L'entreprise, située à Taroudant, est connue pour être une des plus performantes du secteur. Seule société à «produire de la semence en laboratoire», selon Radouani, elle ne dispose pourtant que d'une «très faible part de marché». Principal motif invoqué : l'absence de subventions de la production de semences pour pommes de terre.
L'attitude des autorités de tutelle à cet égard est jugée «illogique». «L'Etat préfère sortir de la devise en favorisant les importations plutôt que d'encourager une production nationale qui a toutes les chances de répondre à la totalité des besoins», ajoute Abdellah Radouani. A l'Association marocaine des producteurs de semences (AMPS), affiliée à la Comader, le discours est quasi-similaire. L'existence d'énormes potentialités est indéniable... Encore faut-il les exploiter. «Le Maroc a d'énormes atouts», y affirme-t-on.
Zones favorables pour la multiplication de semences de pommes de terre, textes législatifs et réglementaires pour la production, contrôle et certification, structures fonctionnelles de production des semences de prébase et de base comme la Sogeta et les Domaines El Boura, existence de 150 variétés: tous les ingrédients semblent réunis pour que la production nationale soit le principal fournisseur des agriculteurs nationaux. On y évoque aussi l'existence d'importantes contraintes de développement, comme le coût très élevé des frais de stockage, qui représentent jusqu'à 30% du prix de revient ou encore l'absence d'un programme national de création de variétés nouvelles.
Et pourtant! Sur les dix (voire quinze) dernières années, les importations de semences certifiées ont connu des hausses considérables, au détriment d'une production nationale qui s'effrite, disparaît quasiment. Les statistiques de l'AMPS font état de chutes inquiétantes. La production nationale est ainsi passée de 6.798 tonnes au cours de la campagne agricole 1990/91 à 1.130 tonnes en 1999/2000. Depuis lors, elle serait presque nulle. En revanche, les importations sont passées de 28.226 tonnes en 1991/1992 à 40.000 en 2005/2006, la moyenne enregistrée depuis le début de la décennie.
En valeur, elles ont représenté en 2004 l'équivalent de 138,2 millions de dirhams selon l'Office des Changes. A noter que les droits de douane sont de 25% dans le cadre du contingent de 50.000 tonnes avec l'UE et de 40% hors contingent. La Hollande carbure dans le palmarès des fournisseurs. Elle se place en tête de liste, devant les Ecossais, qui fournissent environ 27% des besoins du marché, une part qu'ils veulent améliorer. Une délégation d'exportateurs de semences de pomme de terre écossaise présente d'ailleurs aujourd'hui un show-room à Casablanca.
Les producteurs locaux ne semblent pas voir d'un bon œil ce type d'initiatives. Non pas qu'ils s'opposent aux importations. Ce qui les dérangerait le plus concernerait la qualité des semences importées et donc... les prix pratiqués par les fournisseurs étrangers. «Les importateurs nationaux s'approvisionnent auprès de fournisseurs qui ne vendent pas toujours la meilleure qualité. De ce fait, les prix sont dérisoires, ce qui concurrence de façon déloyale toute production locale», déplore M. Radouani. Le prix moyen à l'import serait de l'ordre de 1,5 dirham le kilogramme. Alors que le prix de revient local est compris entre 3 et 3,5 dirhams le kilo, sans compter les frais supplémentaires. Le prix réel serait estimé au moins à 5-6 dirhams le kilo. Les producteurs affirment à maintes reprises avisé les autorités de ce différentiel. Sans toutefois obtenir d'écho favorable.
Source : www.leconomiste.com